La comuna de Narbona

Posted: 6 Julh 2010 in CAMPANHA

La commune de Narbonne

La République est née dans des circonstances trop désastreuses pour que dure longtemps le joyeux enthousiasme des républicains narbonnais. Leur préoccupation dominante, au lendemain, du 4 septembre, est le remplacement immédiat des fonctianaires du régime déchu et, notamment, des membres du tribunal, si sévères, durant vingt ans, envers les démocrates. Dés lors une agitation commence qui atteindra, avec la Commune, son point Culminant.

Plus que jamais la pensée républicaine s’élabore et s’exprime au Club de Lamourguier, seul foyer organisé de la démocratie: Jusqu’ici, le Club a conservé sa confiance aux chefs éminents que sont les deux frères Raynal, si populaires depuis leurs luttes électorales contre l’Emp.ire. L’ainé, Antoine, premier adjoint de la ville, vient d’être l’animateur de la manifestation du 4. Quant au cadet, Théodore, il vient d’annoncer par télégramme de Barcelone, son arrivée à Narbonne pour le 6.

Le Club désigne aussitôt quatre délégués pour se rendre à Perpignan, à la rencontre de Théodore. Dans cette ville, ils voient ensemble le nouveau préfet républicain des Pyrénées­Orientales, déjà suspect de tolérance à l’égard des fonctionnaires de l’Empire. Et Raynal promet aux délégués qu’il agira tout autrement à Narbonne. Il y arrive, acclamé par une foule enthousiaste, avide de le voir et de l’entendre. Il prononce un vibrant discours sur le perron de l’Hôtel-de-Ville. Puis il prend possession de la Sous-Préfechire avec le titre qu’il s’est donné lui-même de «Commissaire de la République pour l’Aude. »

Ces acclamations seront les dernières faites a Théodore Raynal par ses amis. Dés le lendemain, le Club s’étonne de ce que Raynal reçoive, avec égards, les fonctionnaires qu’il a promis de chasser. Et Raynal déclare, sans convaincre ses amis, qu’il s’agit d’assurer la continuité, des affaires courantes, en attendant unc transmission régulière des services à des républicains capables.

L’étonnement grandit, la semaine suivante, lorsqu’on apprend la nomination officielle de Raynal à la Préfecture de l’Aude où il remplace son camarade d’exil Théophile Marcou. Lorsque le Club connaîtra les circonstances de cette mutation il exprimera, sur I’attitude de Raynal, une vive réprobation.

Le 8 septembre, Raynal avait, en effet, par télégraphe, informé Gambetta de ses initiatives, en concluant : « Il vous faut des hommes éprouvés.» Le ministre de l’Intérieur avait répondu: « Je vous nomme préfet de l’Aude.» Mais, depuis quatre jours, une manifestation populaire avait chassé le préfet-marquis de la Jonquiére et installé Marcou comme «Délégué du peuple de Carcassonne ». Marcou espérait que le gouvernement provisoire ratifierait cette acclamation. Mais Gambetta lui télégraphia le 9 : « Remettez le service à Raynal. »

Très gêné d’avoir à supplanter son vieil ami, Raynal hésita, pesa le pour et le contre durant quatre jours et quatre nuits.

Le 13. enfin, il décida de demander à Marcou de lui céder Ia place. Après un entretien dramatique Marcou céda. Une courte polémique s’ensuivit, par correspondance. La dernière lettre, de Marcou, s’exprime ainsi : «La pudeur des souvenirs, la crainte de creuser des divisions dans notre parti et surtout, de faire rire nos ennemis, m’imposent une retenue dont, sans doute, vous ne me forcerez pas à sortir… »

Cette affaire fut évoquée au Club de Lamourguier, dans des, séances houleuses. Naguère, une belle unanimité s’y faisait contre «Les Amis de l’Ordre». Il lui fallait, maintenant, examiner le cas de ses propres membres et non des moindres. Les avis étaient partagés. Mais une majorité très importante estima que les places appartenaient au premier occupant et que Raynal avait commis une lourde faute – d’aucuns disaient : une trahi­son, – en évinçant Marcou. On lui reprochait, en outre, de braver l’opinion publique en se maintenant à la préfecture malgré les pétitions, d’y préparer sa candidature à la députa­tion, d’y chercher à plaire au gouvernement en l’aidant, grâce à ses connaissances commerciales, dans le délicat problème des approvisionnements militaires, d’y chercher à plaire aux réactionnaires qu’il recevait…

L’irritation du Club contre Théodore Raynal se manifesta aussi contre son frère Antoine, soupçonné d’avoir inspiré l’attitude de son cadet. Un membre du Club, Eugène Gondres parla de «la prudence prévoyante de Raynal aîné, chez lequel les souvenirs du Deux Décernbre ont fait pénétrer une crainte persistante… A Raynal aîné s’abstenant de paraître au Club, c’est son beau­frère Gerband, président et un des fondateurs du Club, qui éprouvera la colère des républicains. Selon eux, il a imité les palinodies (ce mot est souvent employé en cette période), les palinodies de Théodore et il a feint d’être en désaccord avec lui pour mieux jouer son rôle. Cela suffit. Le Club le chasse sous les huées et les sifflets.

Pour manifester plus ostensiblement son hostilité, le Club invita Théophile Marcou et un autre avocat de Carcassonne, Emile Digeon, qui luttait contre Raynal, à assister à; une séance. Ils s’y rendirent, en effet, séparément, à plusieurs jours d’intervalle, y parlèrent et furent acclamés…

Cependant, au même instant, le Club demandait avec beaucoup d’insistance au préfet Raynal d’armer la Garde Nationale de Narbonne, ainsi que cela était déjà fait pour celle de Carcassonne. Le préfet ne crut pas devoir accueillir cette demande. A vrai dire, il n’en voyait pas la nécessité. Il l’explique avec à propos : « Armer la garde, mais contre qui? Pas contre les Prussiens, assurément. Les républicains narbonnais sont-ils donc si confiants dans les sentiments démocratiques de ce corps ? Ne craignent-ils pas l’emploi de ses armes contre le peuple? Et puis, ceux qui déclarent à tout instant parler au nom du peuple, sont-ils bien certains d’exprimer toujours sa volonté ? »

Fin Janvier 1871, l’armistice avec les Prussiens est signé et des élections sont annoncées pour le 8 février en vue de cons­tituer une Assemblée Nationale chargée de demander la paix. Sans perdre de temps, le préfet Raynal annonce sa candidature et commence sa campagne électorale. Très courageusement, il dé­clare qu’il viendra au Club de Lamourguier pour renouveler sa profession de foi républicaine. Aux quelques amis qui l’en dissuadent il répond : « Laissez-moi faire. Je sais les manier. En cinq minutes ils seront tous à moi. »

Raynal se trompait. Il vint au Club, en effet. Mais à peine fut-il à la tribune que de nombreux cris de «Traître à la République I » l’empêchèrent de parler. Dans un moment d’accal­mie relative il donna, de son attitude, des explications qui exaspérèrent davantage ses contradicteurs. Il dut se retirer

Tandis que l’accompagnaient, hors de la salle, les huées et les sifflets. Le lendemain, il retirait sa candidature. Le résultat des élections du 8 février fut décevant pour les républicains. Les six candidats de la liste départementale dite ­blanche furent élus à une imposante majorité dans l’ordre suivant : Jules Buisson, 34.464 voix ; Léonce de Giraud, 33.473 : de Tréville, 32.014 ; Adolphe Thiers, 29.041 ; Charles Lambert de Sa inte-Croix, 25.297 ; Comte Mathieu de la Redorte, 25.277. La liste républicaine, pourtant parée de noms illustres, était fortement distancée. Marcou tenait la tête avec 11.886 voix ; Arago en avait 7.272, Gambetta 5.226. Venaient ensuite, avec des chiffres plus faibles encore, le docteur Jean Mirza Narbonne (propriétaire à Bize) et Fortuné Brousse (maire de Limoux).

Le 11 février, Marcou écrivait dans La Fraternité : « … Que vont faire les Blancs de leur victoire ? S’ils croient que nous allons leur permettre une Troisième Restauration, ils se trompent étrangement. Qu’ils prennent garde à une chose : à des provo­cations à la guerre civile ! »

La colère de l’opposition grandit à mesure qu’apparaissaient les dispositions de l’Assemblée Nationale.. Théodore Raynal, lui-­même, ne consentait plus à servir le gouvernement de Thiers : le 11 mars, il donnait sa démission de préfet. Il se félicitera doublement de ce geste qui lui évitera, quelques semaines plus tard, de participer à la répression de la Commune de Narbonne. Jamais plus il ne sollicitera une fonction publique, ni un mandat électif. Il avait assez éprouvé l’inconstance et l’ingratitude des foules. Brave homme malgré tout, il continuera pendant un quart de siècle, à titre privé et de ses propres deniers, à faire beaucoup de bien autour de lui.

Raynal avait désigné au gouvernement, comme son successeur possible, son ami l’avocat Trinchant qui fut nommé effective­rnent. Tout comme l’ancien, le nouveau préfet reçut les récla mations du Club de Lamourguier et n’y donna pas une meilleure suite. L’irritation grandissait. On sentait venir une crise violente. Tout à coup, le 19 mars, le télégraphe apporta la nouvelle du mouvement communaliste survenu la veille à Paris. On n’en pouvait apprécier encore toute la portée et on n’en, connaissait pas les organisateurs. Cependant, instinctivement, le Club dirigea sur ce sujet « extérieur » l’agitation des six derniers mois dont les causes étaient toutes locales.

Persuadé qu’il « exécute la volonté populaire » et que « le peuple ne veut plus attendre», le Club décide qu’il faut «aider Paris en proclamant à Narbonne la commune centrale de l’arron­dissement avec union au gouvernement de Paris ».

Mais à toutes les volontés qui s’offrent, il faut un chef et aucun des militants présents ne se croit digne d’assumer ce rôle. D’un commun accord, on décide d’offrir la direction de la Commune de Narbonne à Théophile Marcou, dont on connaît l’opposition aux décisions réactionnaires de l’Assemblée et sa sympathie pour le peuple. Cinq délgués narbonnais envoyés spécialement à Carcassonne espèrent bien le ramener. Mais Marcou, déjà pressenti par Emile Digeon, son camarade d’exil et son collaborateur à La Fraternité, de proclamer la Commune à Carcassonne, a déjà refusé parce qu’il prévoit un échec certain. Pour la même raison, il décline l’offre des Narbonnais. Ceux-ci s’adressent alors à Digeon qui accepte.

Contrairement à l’avis de Marcou, Digeon, séduit par la simultanéité du mouvement de Paris avec ceux d’autres villes, pense que l’occasion n’a jamais été aussi favorable.

Emile – Stanislas Digeon, bien qu’âgé de 49 ans, est resté un révolutionnaire ardent et courageux. Marcou, qui le connaît bien, écrira après la folle équipée : « Digeon est le type du dévoue­ment absolu et de l’héroïsme antique. Il a pu se tromper sur l’opportunité du mouvement. Il a cédé peut-être trop facile­ment à l’entraînement de sa conscience politique. A. coup sûr il a été de bonne foi. »

Le 23 mars, vers sept heures du soir, Digeon arrive à Nar­bonne, bien décidé, avant toute chose, à obtenir l’adhésion de la majorité du conseil municipal au mouvement qu’il va entre­prendre. La Commune sera constituée, pense-t-il, avec une partie des membres de ce conseil et d’autres membres soumis à l’ac­ceptation du peuple réuni sous le balcon de l’Hôtel -de-Ville. Mais le maire Marcelin Coural est absent: il a dû se rendre â Montpellier, à l’occasion d’un procès. Quant au premier adjoint Antoine Raynal, il refuse absolument de réunir le conseil. A la fin de ce jour, Digeon n’a recueilli l’adhésion que d’un seul conseiller : le jardinier Baptiste Limouzy.

Le 24 mars, avec le concours de Limouzy, quelques démarches permettent de compter sur cinq ou six autres conseillers. Tous les essais de conciliation en vue d’amener Antoine Raynal â réunir le conseil restent vains. Durant toute cette journée, une foule nombreuse et agitée remplit les rues, avide de nouvelles. Très dense devant le palais municipal, elle s’impatiente de plus en plus en apprenant le refus persistant de Raynal aîné.

Vers huit heures du soir, n’y tenant plus, cette foule envahit l’édifice, désarme le poste de garde et s’empare des armes que la municipalité faisait à ce moment distribuer aux gardes rnobilisés, revenus quelques jours avant. Sous quelle impulsion, par quels ordres la foule a-t-elle agi ? On ne sait. Digeon, lui-­rnême, déclare avoir pris immédiatement la direction du mou vement commencé, « dans un interêt d’ordre et de préservation ­inséparables du but politique poursuivi. »

Digeon s’installa avec ses amis à l’Hôtel-de-Ville d’où les autorités municipales et les employés avaient disparu dés l’en­vahissement. A ce moment deux cent cinquante hommes sont déjà armés et un grand nombre d’autres demande à l’être. On arme tout ce qu’on peut. Mais, dans l’effervescence, Digeon s’aperçoit qu’il est urgent de rétablir quelque discipline : il fait comprendre à ces hommes la nécessité d’organiser immédiate­ment la défense ; il établit des postes à tous les points suscep­tibles d’être attaqués.

Puis, entouré de ses amis, Digeon se présente au balcon d’où il propose à l’acceptation du peuple réuni sur la place, la cons­titution de la « Commune centrale de l’arrondissement de Nar­bonne, unie à celle de Paris » et la nomination des membres de cette Commune dont il donne les noms : Limouzy, president ; Digeon, Nègre, Noël, Gondres, Bouniol, Conches et Grasset, membres. L’acclamation populaire approuve.

Digeon annonce ensuite qu’il prend le titre de « Chef pro­visoire du pouvoir exécutif ». Car, dit-il, il se retirera lorsque la Commune sera définitivement installée. Il engage le peuple à observer l’ordre et respecter la propriété. Et, tandis que le drapeau rouge est arboré à la place du drapeau tricolore, Digeon s’écrie : « Ce drapeau est le signe de la revendication des droits du peuple ! »

A ce moment, un orateur inconnu dans la ville prononce un discours enflammé pour caractériser et justifier l’insurrection. On saura, plus tard, que cet orateur était Louis-Jules Marie Montels, àgé de 28 ans, dont le dernier domicile connu était à Béziers. Outre les membres de la Commune, on peut citer, parmi ceux qui ont le plus activement participé à l’insurrection :

les Citoyens Azéma, Baraban (dit le Garibaldien), Goubé, Gouiry, Mi (dit Blumblum), Montagné, Moulins (dit Pétitou) et Santy. Le « Gouvernement » s’installe dans les bureaux de la mairie. Limouzy signe sa première nomination : celle du citoyen Asperge fils, comme télégraphiste. Deux dépêches sont envoyées aussitôt, l’une à Duportal préfet de Toulouse, l’autre à Marcou pour leur annoncer ce qui vient de se produire. Vers 10 heures, la Com­mune place des sentinelles devant la recette des finances, place des Jacobins. Dans la nuit, le lieutenant-colonel Vilar, du 52e de ligne, en garnison à Narbonne, fait désarmer cette garde et la remplace par ses propres soldats.

Le sous-préfet Obissier de Saint-Martin n’a rien pu faire contre ce mouvement soudain. Sans ordre précis, pour éviter d’être prisonnier de l’insurrection, il s’est réfugié à la gare… Mais, en l’absence du maire, le premier adjoint Raynal n’est pas disposé à laisser s’installer ce nouveau pouvoir à la place des autorités régulières. Ce même soir, il charge le commissaire de police de réquisitionner de l’infanterie, pour expulser de l’Hôtel-de-Ville ceux qui viennent d’y pénétrer.

Cette opération n’est entreprise que le lendemain 25, vers 9 heures du matin. Deux détachements du 52e étaient à peine, mis «en bataille», l’un sur la place, l’autre dans le passage de l’Ancre, qu’une foule compacte et irritée entoure les soldats qui se laissent désarmer. Plusieurs d’entre eux passent même à la révolution, lèvent la crosse en l’air en criant : « Vive la Com­mune ! » Le capitaine Blondat et le sous-lieutenant Noguès, assaillis par leurs hommes autant que par la foule, sont remis, le visage en sang, aux chefs de la Commune qui les retien­nent comme otages. Le lieutenant Chavériat, chef du détache­ment du passage de l’Ancre, subit d’abord le même sort, mais parvient à s’échapper.

Ce même jour, le commandant Soulatgé, le sergent-major ­Fossé, les citoyens Berthomieu et Piquet père, résistants au mouvement populaire, sont capturés par la foule, puis relâchés sur l’ordre de Digeon. Nuit et jour, ce même peuple reste en permanence sur cette place pour s’opposer à une attaque éven­tuelle de la force armée.

Le 26, dans la matinée, Raynal aîné vient, très courageuse­ment, haranguer ce peuple, l’engageant à cesser ce mouvement et à se disperser. Appréhendé par quelques manifestants, on le conduit devant Digeon qui le fait enfermer comme otage avec les deux officiers retenus la veille.

Quelques instants après, Digeon ayant reçu un billet anonyme dans lequel on le menace de mort s’il ose sortir en ville fait aussitôt mettre ses trois otages entre deux files d’hommes armés, et, se tenant lui-memce en tête du détachement, il se rend à la sous-préfecture pour en prendre possession. Il en confie la garde a Prosper Nègre, ancien professeur et bibliothécaire, membre de la Commune, avec un poste de quarante hommes commandés par Gouiry. Peu après, cet avis est placardé sur l’immeuble :

«La Commune de Narbonne est aujourd’hui la seule autorité supérieure de l’arrondissement. Une commission spéciale est déléguée par moi à la sous-préfecture pour prendre possession de tous les documents qui: s’y trouvent. La commission provisoire des forces républicaines. Signé : E. Digeon. »

Revenu, a l’Hôtel-de-Ville avec la même escorte, Digeon y fait enfermer Raynal aîné et le sous-lieutenant Noguès. Puis, ayant placé à côté de lui son troisième prisonnier, le capitaine Blondat, il se rend à la gare, escorté de quarante hommes, en passant par la rue Droite où se trouve la maison de Raynal. II signifie au chef de gare et à celui de la station télégraphique qu’ils n’ont à reconnaître d’autre autorité que celle de la Commune. Il revient, par le même itinéraire sans être inquiété. Les autorités régulières disposent cependant dans la ville de près de 1500 hommes du 52e de ligne. Mais leur chef n’a pas pas encore reçu d’ordres.

Digeon informe ensuite par télégaphe les vllles voisines de ce qu’il vient de faire et les invite à l’imiter. Il pense que les insurrections de province ne peuvent réussir que si elles sont fortement reliées entre elles. Il veut tendre la main aux sou­lèvements de Toulouse et de Marseille. De Béziers, de Cette et de Perpignan on Iui promet de l’appui… mais pour le 28 au plus tôt. Comme il lui faut des fonds, Digeon fait appeler le brave et gros Salvy, receveur municipal, qui lui remet, contre reçus et en deux versements, la somme de 3.500 francs.

Cependant, dans la soirée, craignant que le poste de la sous-­préfecture soit attaqué dans la nuit, il le fait rentrer en invitant Prosper Nègre à fermer soigneusement les portes et à placarder sur la porte principale une affiche manuscrite menaçant de mort quiconque tentera, de pénétrer dans l’édifice pour voler !

Le 27 au matin, on commente vivement les termes d’une affiche posée dans la nuit et aussitôt lacérée. C’était un «Appel au calme» du nouveau préfet Trinchant, qui jugeait sévérement «la méprisable ambition de Digeon. » Celui-ci répand aussitôt par une affiche manuscrite «qu’arrivé à l’âge de 49 ans sans avoir occupé ni brigué aucun emploi, il s’étonne d’ètre traité d’ambitieux, surtout par M. Trinchant qui, après avoir été Commissaire de la République sous Ledru-Rollin, vient de mendier et d’obtenir de M. Thiers la préfecture de l’Aude.»

Les délégués des villes ou communes voisines commencent à arriver, apportant leur adhésion, demandant des instructions et des armes.

L’insurrection dispose alors de 300 civils (sur une population de 18.000 habitants) et de 250 militaires. Les civils prennent leur repas chez eux. Les militaires reçoivent des vivres réquisi­tionnés un peu partout et cuisinés dans la cour de la mairie avec les ustensiles de la mobile trouvés dans les magasins. On mange et on boit, surtout, beaucoup, car le vin est à discrétion.

Le 28, vers six heures du matin Digeon attaque l’Arsenal, en enfonce les portes, capture un lieutenant et un sergent-major, tandis que les quatre soldats du poste mettent la crosse en l’air. Il y trouve quelques chassepots, quelques fusils ancien modèle et des cartouches. Des tentatives semblables aux casernes Saint Bernard et du Petit-Séminaire restent vaines. Les portes en sont solidement fermées et les troupes consignées à l’intérieur. Le commandement a tout lieu de craindre qu’elles ne passent à l’émeute.

Ce 28 mars, les soulèvements provinciaux ont généralement échoué. Il n’y a plus, en France, que trois Communes encore debout : Paris, Marseille et Narbonne. Cette dernière sait qu’une répression militaire, avec les garnisons voisines, est imminente: Thiers a télégraphié à Trinchant : « Il faut en finir. »

Pour empêcher ces troupes d’arriver, Digeon ordonne d’enlever les rails de la voie ferrée, dans toutes les directions. Il demande toutefois au chef de gare d’arrêter les trains «afin d’éviter tout accident. » Un détachement de 25 gendarmes, chargé de protéger la gare, s’était retiré vers Béziers, en apercevant la troupe communaliste.

Digeon se dispose à diriger une expédition sur Béziers Iors­qu’il est informé de l’envoi sur Narbonne de deux compagnies de turcos (tirailleurs algériens), de Perpignan. Dés lors, il ne pense plus qu’à la défense. Il recommande à ses troupes « de ne tirer qu’après avoir essuyé une ou deux décharges et, pour le cas d’absolue nécessité de riposter, ne viser que les officiers afin de terminer plus promptement la lutte sans trop de sang répandu…. »

Ce même jour, au palais de justice de Carcassonne, le pro­cureur-général Agniel, le général Robinet, le sous-préfet de Narbonne et le substitut du procureur de la République de cette ville, acceptaient le projet de médiation proposé spontané­ment par Auguste Clarou, banquier à Limoux et ami personnel de Digeon. Le procureur-général demandait à Clarou de se rendre à Narbonne pour faire aux Communalistes les proposi­tions suivantes : dissolution de la Commune, évacuation de l’Hôtel-de-Ville, abandon des armes sous promesse d’amnistie générale et entière pour tous ; un seul mandat d’arrêt main­tenu contre Digeon, mais dont la mise à exécution, renvoyée à la vingt-quatrième heure après la dissolution de la Commune, doit permettre à son chef de passer la frontière. Le général Robinet donnait mission à Clarou de dire aux soldats, com­plices conscients ou inconscients, qu’ils ne seraient pas pour­suivis devant une cour martiale ; des peines disciplinairess seules leur seraient infligées.

Le 29 mars, les premières troupes arrivent et prennent position aux environs de la gare où viennent de s’installer le procureur-général Agniel et le préfet Trinchant. Ces forces, placées sous le commandement du général Zentz, se composent de deux compagnies du Génie de Montpellier, un peloton du 7e chasseurs de Carcassonne, une section d’artïllerie de Tou­louse, une compagnie du 17e de ligne de Foix, 40 gendarmes et… 50 douaniers.

Dans la ville, la surexcitation augmente. Des barricades s’élèvent dans toutes les voies aboutissant à l’Hôtel -de – Ville. Digeon déclarera, plus tard, n’avoir pas donné l’ordre d’élever ces barricades. On peut l’en croire. Les barricades n’ont jamais été, bien au contraire, un bon moyen d’attaque ni de défense.

Mais, à certains moments critiques, la foule leur attribue on ne sait quelle vertu salutaire : elles naissent toutes seules.

Le tocsin sonne sans arrêt pour ranimer, s’il en était besoin, les défaillants. Les femmes se montrent les plus dévouées àr transporter les pavés. Quelques-unes montent su sommet des tours du palais municipal où elles déposent des pierres, des poutres, du pétrole, pour repousser les agresseurs. D’autres par­courent les rues, collent des affiches, entraînent les timides. D’autres, enfin, armées de baïonnettes passées à la ceinture ou emmanchées au bout d’un bâton, font des patrouilles. A leur tête se distinguent la citoyenne Clavel, veuve Malmigéres et la citoyenne Salles, épouse Crabes.

Le 30 mars, la Commune fait des approvisionnements en pré­vision d’un investissement. Elle réquisitionne notamment : un fût de pétrole chez le citoyen Faurie, deux douzaines de pinceaux (pour le badigeonnage au pétrole) chez le citoyen Ponsolle, du tabac chez le citoyen Chaffort.

Dans la matinée une proclamation du préfet Trinchant affichée sur les murs de la ville annonce l’insuccès général des mouve­ments communalistes de province et exprime l’espoir que celui de Narbonne s’inclinera devant la légalité, avant qu’il ne soit trop tard. Digeon aussitôt, rédige, fait imprimer et répandre une longue proclamation où il dit notamment :

«  On cherche à nous découtager en nous disant que les villes qui nous environnent n’ont pas encore imité notre exemple. Mais est-ce une raison pour abaisser devant la force brutale ce drapeau rouge teint avec le sang de nos martyrs et que nous sommes prêts à tremper dans le nôtre.

Que d’autres consentent à vivre éternellement opprimés, qu’ils conti­nuent à être le vil troupeau dont nos oppresseurs tondent la laine et mangent la chair.

« Quant à nous, nous ne désarmerons que lorsqu’on aura fait droit à nos justes revendications, et si on a encore recours à la force pour les repousser, nous le dison.s à la face du Ciel, nous saurons les défendre jusqu’à la mort.

… Ceux qui trouveraient nos prétentions exagérées ne pourraient être que les sicaires des tyrans dont on cherche à restaurer les trônes trois fois brisés par la colère du peuple.

… S’ils osent vous faire égorger, ô femmes héroïques, femmes dignes des femmes de Sparte, ils seront maudits dans leurs enfants, dans toute leur descendance ! »

Réunis à la gare, le procureur-général, le préfet et le général Zentz décident de confirmer à Auguste Clarou la mission dont il a été chargé, le 28, à Carcassonne, en lui adjoignant toutefois deux autres amis de Digeon, Théophile Marcou et Isidore Roques, de Limoux. Ces trois « parlementaires » se présentent à l’Hôtel-de-Ville, entre six et sept heures du soir: Un « conseil de guerre », réuni en leur présence, écoute les propositions des autorités civile, militaire et judiciaire et les rejette à l’unanimité moins une voix, malgré «l’insistance suppliante » de Marcou.

Presque en même temps, un nouveau renfort arrivait par le train de Perpignan : les deux compagnies de tirailleurs algériens dont le rôle, dans la répression, sera le plus important.:.. et le plus impopulaire.

Ces turcos parés de leur glorieuse renommée de Crimée et de Wissembourg, avaient la réputation d’exécuter toujours, quels qu’ils fussent, les ordres de leurs chefs. Avec eux, pas de crosse en l’air. Le colonel Perrossier qui les commande alors comme capitaine a publié en 1900 un récit, La Commune de 1871 à Narbonne, dans lequel il expose les évènements vus du côté de la répression ; il fait naturellement l’éloge de ses hommes, tandis qu’il est très sévère pour les « Communiers ». Du côté opposé, le polémiste Lissagaray est tout aussi partial dans son livre La Commune de 1871 ; mais il exagère à peine lorsqu’il écrit, à propos des turcos : « Ces Arabes, arrivaient à Narbonne comme à une razzia.»

Clément Bichambis, bien connu par sa modération et son impartialité a noté, dans un de ses nombreux ouvrages sur Narbonne, publié en 1926, quel­ques épisodes, d’après les récits de témoins, unanimes pour affirmer que « durant la répression et les mois qui suivirent, les turcos, cantonnés au petit-séminaire, ont accompli des exploits auprès desquels ceux ordinairement reprochés aux troupes de passage, ne sont que jeux d’enfants. Longtemps après, pour assagir Les enfants, on legr disait: « Les turcos vont venir ! » Le souvenir en était encore très vivace, plus d’un demi-siècle après, dans la mémoire des contemporains. »

Donc, ce 30 mars, aprés avoir rejeté les propositions offi­cielles, la Commune se dispose à résister. Digeon pense trouver, si besoin est, pour son entourage et pour lui-même un dernier refuge dans les tours de la cathédrale, contiguë au palais municipal. Il fait demander la clé de ces tours à l’archiprêtre Jean-Jacques Gardel. Ce vénérable abbé, àgé de 74 ans, a précisément été l’ami du père de Digeon et il a cru devoir insister auprès du fils pour qu’il cesse sa résistance ; il fait répondre que la clé est à la sous-préfecture.

Vers minuit, lé général Zentz envoie des troupes dans les rues barricadées. Rue du Pont, les turcos se heurtent à un groupe communaliste. Des coups de feu sont tirés. François Grauby (dit Ninet) blessé à l’angle de la rue Kaspail, se réfugie dans la cour du 25, cours Mirabeau ; il y est poursuivi et achevé.

Le 31 mars, vers trois heures du matin, à la barricade de la rue du Pont, une fusillade abat Pierre Cabrol et Barthélémy Monié. Peu après, les turcos abordent la barricade. Quelques cornmuniers armés, espérant fraterniser avec les tirailleurs, comme ils l’avaient fait avec les lignards, se disposent à fran­chir l’obstacle. Une décharge en tue deux, en blesse trois. On croit que les coups de feu sont partis du balcon du café Gasc (depuis, café Félix et pâtisserie Bénéteau) où se trouve un cercle fréquenté par des monarchistes. Mais il n’a pu être établi si les occupants du balcon étaient des turcos ou des civils. Les défenseurs emportent leurs morts et leurs blessés à l’intérieur de l’Hôtel-de-Ville où les blessés reçoivent les soins du docteur Marty. Digeon ordonne, â ce moment, d’évacuer les barricadcs pour concentrer la défense dans l’édifice.

Vers sept heures du matin, le général Zentz prévient la popu­lation par affiches manuscrites que, si la résistance continue, des obus seront lancés sur l’Hôtel-de-Ville. Des pièces de canon s’installent en aval du pont Sainte-Catherine (qui était situé un peu en amont de l’actuel pont de la Liberté à l’entrée du quai Vallière) et à la porte Neuve, entre les ponts des Carmes et de l’Escoute.

Digeon fait aussitôt apporter par Eugène Gondres cette lettre au général :

« … J’ai le droit de répondre à cette menace sauvage d’une façon analogue. Je vous préviens que si, vous tenant hors de Ia portée de nos balles, vous bombardez la ville, je ferai fusiller impitoyablement les trois prisonniers que j »ai en mon pouvoir.

« Si vous combattez à armes à peu prés égales, les prisonniers ne courront aucun danger… »

Le général lit la lettre, n’y répond pas, mais garde Gondres comme prisonnier. Quelques instants après, le docteur Marty et Isidore Roques viennent auprès de Digeon, comme parlemen taires, au nom du procureur-général et du préfet, faire les propositions suivantes :

«1° Le procureur-général se présentera, accompagné d’un simple piquet, pour convenir d’un délai après lequel, les trois sommations légales étant faites, il se verrait dans la nécessité de commander immédiatement l’’attaque si l’Hôtel-de-Ville n’é­tait pas évacué ;

« 2° Si, comme la menace en a été faite, un seul ou tous les prisonniers sont passés par les armes, la troupe envahira immédiatement l’Hôtel-de-Ville et il n’y aura aucun quartier pour ceux qui s’y trouveront ;

«3° Le procureur-général maintient l’’amnistie offerte hier à tous ceux qui, occupant l’Hôtel-de-Ville, l’auront évacué avant les hostilités.

Digeon demande alors au docteur Marty si la dernière clause est applicable aux militaires et si, la lutte continuant avec un parti de révoltés, ceux qui se retireraient de la lutte béné­ficieraient de l’amnistie. Marty fait remarquer que la clause n’admet aucun doute défavorable ; mais, sur l’insistance de Digeon, il promet d’en référer à ses mandants et de rapporter la réponse.

En l’attendant, Digeon rassemble tous ses hommes dans la cour pour leur donner lecture des conditions apportées par le docteur Marty et leur en explique la portée. Reconnaissant que les situations de famille ne sont pas les mêmes et que les devoirs peuvent être différents, il laisse chacun libre de se retirer. Il ne veut désormais avec lui que des gens prêts à mourir.

On vient alors annoncer à Digeon que le procureur-général est déjà devant la terrasse du palais municipal, rue du Tribu­nal, avec deux détachements, un de sapeurs du génie, l’autre, de turcos. Digeon, accouru sur la terrasse, s’adresse au procureur pour protester contre la violation des promesses apportées par le docteur Marty et contre ce mouvement de troupes ; le magis­trat lui annonce que les trois sommations légales vont être faites et, à partir de ce moment, il ne restera plus qu’une demi-­heure aux occupants de l’Hôtel-de-Ville pour l’évacuer. Pendant cette discussion, un turco, s’est avancé, a mis en joue son chasse­pot, en visant Digeon ; le procureur-général a quelque peine à lui faire remettre l’arme au pied.

Soudain, un roulement de tambours couvre toutes les voix il précède la première sommation légale, aussitôt suivie de deux autres. Alors, dans le palais, règne une grande confusion : les uns abandonnent leurs armes et se pressent vers les sorties, tandis que d’autres se regroupent, espérant réorganiser la dé­fense. Parmi ces derniers, les citoyens Nègre, Asperge, Astruc et Baraban sont les plus exaltés. Digeon, estimant que cette défense est impossible, ordonne l’évacuation totale et la libération des trois otages. Il déclare vouloir rester seul, retranché dans le cabinet du maire, décidé à y vendre chèrement sa vie. Mais un groupe d’hommes et de femmes l’enlève de force et l’emporte dans une maison amie de la rue du Pont.

Les turcos pénétrèrent dans un édifice vide, maraudèrent dans tous les coins, s’emparérent de nombreux objets et ajou­tèrent aux déprédations ou pillages commis par les précédents occupants. Le Musée et la Bibliothèque furent cependant res­pectés par tous et cela grâce, probablement, à l’ancien biblio­thécaire Prosper Nègre. Des cinq actes d’Etat-civil signés durant les six jours de son gouvernement par le président Limouzy, un seul sera annulé par le tribunal civil.

Le 31 mars au matin, la Commune de Narbonne avait vécu. Mais, durant cette journée et les suivantes, les patrouilles de turcos parcoururent la ville, nombreuses. L’une d’elles, rue Entre-Deux-Villes, reçut une bouteille de bière lancée du café Lagarde, siège du Cercle Radical (plus tard immeuble Goudonne-Fournier). Le chef de la patrouille continua sa route et rendit compte. Peu après, un groupe de dix turcos, commandé par le lieutenant Kadhours, pénétrait de force dans­le café. Quelques coups de fusil crépitèrent. Les clients, effrayés, s’enfuirent par les issues donnant sur la Rohine ; quelques-uns ­traversèrent le canal à la nage.

Les mandats d’arrêt, aussitôt lancés par le parquet, furent­exécutés avec d’autant plus de facilité que les inculpés, se fiant à l’amnistie promise, n’avaient pas sopné à échapper: Digeon, lui, à peine remis de ses fatigues physiques et morales, écrivait le 2 avril au procureur-général qu’on pouvait venir l’arrêter au domicile qu’il indiquait.

Le 4 avril, la municipalité régulière, composée du maire Marcelin Coural et des adjoints Jean-Antoine Raynal et Léon Bonnel, réintégrait l’Hôtel-de-Ville bouleversé. Mais c’était seu­lement pour y rédiger un texte de démission ainsi motivée : « ..essentiellement républicaine, elle ne saurait rester à son poste comme mandataire du gouvernement de Versailles… ». Grief contre l’extrême-droite, compensé aussitôt par celui-ci, contre l’extrème gauche : « Chassée de l’Hôtel-de-Ville par un acte de violence inqualifiable, sa protestation n’a trouvé aucun écho dans la partie laborieuse du peuple qui l’a élue…».

Quelques jours après, dans La Fraternité, Marcou plaidait déjà en faveur des Communiers de Narbonne incarcérés et il ouvrait une souscription en leur faveur.

L’instruction judiciaire, d’abord confiée au juge d’instruc­tion de Narbonne Dartiguelongue, puis au Conseiller à la Cour­ d’appel de Montpellier Roussel, était terminé le 22 avril à midi.

Le même soir, à minuit, sur les, ordres du parquet général qui proposait le renvoi de 32 inculpés devant les Assises de l’Aveyron, avant même la décision de la chambre des mises en accusation, ces inculpés, enchaînés deux à deux, quittaient la prison de Narbonne, étaient dirigés sur celle de Rodez. Flanqués de deux files de 24 gendarmes et suivis d’une compagnie de turcos dont les fusils étaient chargés, avec baionnette au canon, ils furent conduits à la gare. Enfermés dans un wagon accroché à un convoi de marchandises et sous la garde de 14 gendarmes, ils arrivèrent à la prison de Rodez le 23 à dix heures du soir.

La chambre des mises en accusation se prononça selon les désirs du parquet. En un moment où les cours martiales et la justice sommaire sévissaient sur tout le pays, la décision des juges de Montpellier, bien qu’elle eût suspecté de partialité le jury de l’Aude, apparaît pleine d’indulgence. Il est vrai, aussi, que les accusés n’avaient causé aucune perte humaine au service d’ordre : les seules victimes étaient de leur côté. Sur ces 32 inculpés, bon nombre réussirent à s’évader ; 17 seu­lement restèrent détenus jusqu’à leur comparution.

L’affaire dite des « Evènements de Narbonne» ne fut appelée devant le jury de l’Aveyron que sept mois après, le 13 novembre. La population ruthénoise manifesta visiblement sa sym­pathie aux accusés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais de justice. L’accusation leur reprocha, notamment : l’occupation d’édifices publics, la capture et la détention de militaires en service, l’enlèvement par contrainte, de fonds à la recette municipale, les barricades, etc. Digeon se défendit avec une ardeur singulière. Sur ses opinions :

« … Je regarde, dit-il, l’Assemblée de Versailles, comme une usurpatrice: elle a été nommée par un peuple qui avait sur la gorge le couteau du Prussien…

« … Je déteste la guerre civile mais encore, au suprème degré, la tyrannie et l’arbitraire…

«  … Le drapeau tricolore a été sali à Sedan. Le drapeau rouge a été rougi par le sang de nos martyrs… »

Sur Ies embarras causés au préfet Théodore Raynal:

« … M. Raynal est un républicairn qui voudrait voir subsister les lois de La monarchie… M. Marcou, ayant été installé à la préfecture, nous apprenons que M. Raynal vient de le supplanter. Je lui dis qu’il ne devait pas accepter de remplacer un ami… »

Sur l’arrestation de Jean-Antoine Raynal:

«  … Il agissait pour me faire attaquer : C’était donc un homme de désordre !… »

Sur les tentatives contre les voies ferrées :

« … Si on avait fait sauter les tunnels et les voies, les Prussiens n’auraient pas avancé si vite…. »

Cet avocat simplifiait beaucoup la tâche de ses défenseurs: Mic, du barreau de Périgueux et Marcou. L’accusation avait 72 témoins, la défense 8 seulement. Après une brève délibération, le jury prononça un acquittement général. Digeon et ses amis, libérés aussitôt, furent vivement acclamés à leur sortie du palais.

Quant aux mutins du 52e de ligne, ils avaient comparu de­vant un conseil de guerre, spécialement réuni à Narbonne. Sur 20 accusés, 2, gravement malades, n’avaient pu se présenter. Tous les autres avaient été condamnés à mort. Le général Raybaud, commandant la 11e division à Perpignan, avait demandé, la commutation pour 6 condamnés. Le gouvernement, plus indulgent, commua toutes les peines capitales.

Paul carbonnel, Histoire de Narbonne 1956

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